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Saïgon.
Début des années 40.
Lucie vient d’avoir 17
ans. Elle est belle. Une beauté particulière,
celle née des métissages.
Elle n’est pas comme une
vietnamienne quelconque, elle a ce quelque chose en plus.
Elle a une grâce naturelle, un port de tête altier.
Elle a des origines mandarines.
Elle a la peau blanche,
les lèvres fines, et de grands yeux en amandes.
Ses longs cheveux couleur
de jais sont retenus par un ruban rose.
Elle est adorable dans
son uniforme.
Son chemisier est parfaitement repassé et rentré dans sa jupe plissée.
Elle a la taille fine et le buste droit.
Elle discute avec d’autres
jeunes filles de son lycée.
Elle rit et tout son
visage s’illumine.
Ses dents blanches. Sa
fossette et ses joues roses. Elle est ravissante.
Doan a presque 30 ans. Il
a une classe folle.
Son luxueux costume lui
va à ravir.
Il monte dans sa voiture
noire.
Ses yeux perçants
scrutent l’horizon.
Il se depêche. Il va être
en retard.
Elle a mal soudain.
Une douleur lancinante
qui lui fait porter la main à sa bouche.
Une souffrance qui lui
fait monter les larmes aux yeux.
Elle tente de la
réprimer, sans y arriver vraiment.
Il est dans son cabinet,
prêt à examiner ses patients.
Il prend le temps de
parler à chacun, de tout expliquer et de rassurer.
C’est un bon dentiste.
Il a presque tout. Une
situation et de l’argent.
Il lui manque juste une
femme.
C’est son tour. Elle est
intimidée. Elle n’aime pas les endroits qu’elle ne connaît pas.
Elle a l’air d’une biche
aux abois.
Elle pousse doucement la
porte.
Il la salue, lui dit de s’asseoir, en souriant.
Il a reçu un coup au coeur.
Il a les mains moites.
Il est sous le charme.
Ses mains tremblent
légèrement.
Il reprend sa
respiration. Reprend ses esprits.
Il la soigne, effectue
les gestes mécaniquement, en essayant d’oublier qu’elle est si jolie.
Voilà, il a terminé.
Il échange quelques mots,
pour la retenir, et puis, il la laisse partir, avec regret.
Les jours passent, et il
n’arrive pas à l’oublier.
Ses yeux et son sourire
sont restés gravés dans sa mémoire.
Il veut la connaître.
Il se sent un autre
homme.
Il se raisonne. Il ne
peut pas être amoureux, c’est impossible.
Pas si vite. Pas lui.
Et pourtant, pourtant, il part à sa recherche, la retrouve.
Elle est issue d'une riche famille. C'est la petite dernière.
Il rencontre même son
père, avant d’inviter celle qui hante ses nuits à prendre un thé.
Avec un chaperon, bien
entendu.
Il apprend à la connaître
et ne l’aime que plus.
Elle rêve de voyages et d’ailleurs.
Elle aime lire et jouer du piano.
Ses parents ne la
laissent pas souvent toucher les touches du clavier.
Se donner en spectacle,
ça ne se fait pas.
Elle apprend, petit à
petit, sa vie à lui. Le découvre.
Et les sentiments
viennent, avec le temps.
Il demande vite à son
père la main de sa fille.
Il ne faudrait pas laisser s’envoler cette colombe.
Ils se marient.
Savaient-ils déjà ?
Savaient-ils qu’ils
devraient quitter ce pays qu’il chérissait tant ?
Savaient-ils qu’ils s’aimeraient
toujours, même après la mort ?
Ils étaient jeunes, ils
étaient si beaux.
Ils s’aimaient tellement.
Et je contemple ces
photos jaunies avec émotion.
Je me rappelle avec
tendresse de leur histoire. L'invente peut-être un peu.
J’aurai tant aimé mieux les connaître.
Connaître un amour fort.
Indestructible.