Je déteste le vendredi soir avec elle
Je bous littéralement.
Je perds patience.
Je ne supporte plus, plus du tout.
Je dirais même plus du tout du tout.
Son pas traînant dans la maison.
Ses tasses de thés à moitié pleines partout dans la maison.
Devoir chercher où elle a encore pu cacher ses médicaments. Ou ses lunettes. Ou son sac. Ou sa canne. Ou sa montre.
Evidemment, c'est toujours dans des endroits incongrus. Au fond d'un tiroir à chaussette. Sous son oreiller. Sur le piano. Dans la salle de bains. Ou pire. A son poignet.
La forcer à boire pour qu'elle n'ait pas mal aux reins.
La forcer à manger, aussi.
Ecouter pour la millième fois dans le même repas la même question : "Nous ne sommes que toutes les deux ce soir ?"
Y répondre poliment jusqu'à la fois de trop.
Celle où je me mure dans un mutisme.
Jusqu'à l'explosion.
Et ce soir, j'ai crié.
Je me suis énervée contre elle.
Je sais bien que je ne devrais pas. Ce n'est pas vraiment de sa faute.
Mais elle est tellement de mauvaise foi...
Elle pose une question, histoire de parler. N'importe laquelle.
Je réponds.
Elle me dit toujours "oui".
Même si je pose une question. Même si je n'ai pas encore répondu à la question. Même si je réponds à côté de la plaque.
Elle m'agace prodigieusement.
Elle ment.
Elle croit faire des choses qu'elle ne fait plus depuis longtemps.
Il faut l'entendre au téléphone.
Houspiller les gens en disant que la marche c'est la santé, qu'il faut manger et boire, et faire du sport, et surtout voyager.
Alors que.
Elle dort toute la journée. A part pour manger et quand Maman la douche.
Se lève à 5h00 et réveille Maman pour se rendormir une minute plus tard.
Elle ne sort que si Maman la force et à peine 10 minutes ( dans ces conversations, elle explique qu'elle va toute seule à la plage pendant une heure tous les jours. Menteuse. Menteuse. Menteuse.)
Elle ne fait que lire toute la journée.
Et rêver en parlant.
Tout le temps.
D'ailleurs, ça me fait un peu peur.
On comprend très bien tout ce qu'elle peut dire.
A part qu'en fait je comprends rien parce que je ne parle pas vietnamien.
J'ai l'impression qu'elle a une double vie.
Celle d'ici.
Et puis l'autre.
Comme si elle était déjà un peu partie.
Elle m'énerve.
J'ai envie de la secouer.
Mais je risquerais de la casser.
C'est moche ce que ça peut faire la vieillesse et la maladie.